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Interview de Jonathan Bel-Legroux !

24
Oct. 2020

Bonjour Jonathan ! Comment vas-tu ?

Bien, merci !

 

Tu es le futur directeur de Vertical’Art Paris Chevaleret, la huitième salle du groupe Vertical’Art dont l’ouverture est prévue pour le 19 décembre prochain. Tu es coach mental auprès de sportifs et athlètes de haut niveau, spécialiste en hypnose et hypnothérapie, conférencier ou encore écrivain. Comment es-tu passé de professeur d’EPS à coach mental spécialisé dans la gestion de la performance ?

J’ai suivi un cursus en STAPS et j’ai été un temps prof d’EPS. J’ai toujours été un passionné de sport, mais j’avais du mal avec l’idée de rendre le sport obligatoire et d’enseigner à des personnes qui n’avaient pas envie d’être là, où il fallait faire plus d’éducation que d’enseignement. J’ai avant tout cette fibre de transmission et je me suis intéressé à la passion du sport sur le plan mental. J’ai été rugbyman, grimpeur et alpiniste et au début, je ne comprenais pas pourquoi certains sportifs étaient super forts un jour et beaucoup plus faibles un autre jour. Comme il y avait des médecins dans ma famille – j’ai une tante anesthésiste qui pratiquait l’hypnose à la fin des années 1990 -, je me suis très vite intéressé au lien entre l’hypnose et le sport. L’hypnose était un outil disponible pour les athlètes dans plusieurs pays, mais pas en France. Donc j’ai décidé de me former l’hypnose avec cet objectif de creuser le lien entre hypnose et sport. Et c’est comme ça que j’ai passé plus de dix ans dans cet univers.

 

Tu as été le coach mental de la judoka Emilie Andéol, médaillée d’or aux Jeux Olympiques de Rio en 2016. Peux-tu nous raconter cet exploit ?

On a beaucoup travaillé avec Emilie pour l’amener dans les meilleures conditions face à son adversaire en finale. La préparation s’est super bien passée et le jour de la finale est mémorable avec la médaille d’or à la clé pour Emilie. C’était une journée incroyable ! J’en ai encore des frissons… On ne peut pas dire qu’un athlète a gagné grâce au coach mental, c’est toujours avant tout grâce à lui-même et aux différents paramètres qu’il a pris en compte pendant son entraînement. Là en l’occurrence, le paramètre mental avait bien été pris en compte avec Emilie et cette médaille d’or au bout est une récompense pour le travail de toute l’équipe qui l’a accompagnée durant ces JO. Par la suite, j’ai travaillé avec d’autres athlètes, comme la nageuse Lara Grangeon, sélectionnée pour les JO de Tokyo 2021.

 

Quelle est ta perception du coaching mental ?

Travailler son mental, ce n’est pas avoir une faiblesse mentale, mais la volonté d’être davantage maître de soi-même. J’ai pris beaucoup de temps pour faire évoluer les mentalités là-dessus : si on a recours à un coach mental, ce n’est pas parce que l’on a un problème, mais parce qu’on ne veut pas avoir de problème, justement, lors de notre performance qu’elle soit sportive ou autre. En tant que coach mental, je suis là pour faire travailler le mental du compétiteur. Une phrase que j’aime bien dire : « Il n’y a que dans le dictionnaire que le talent arrive avant le travail. » Tu as beau être un sportif ultra talentueux, si tu ne bosses pas, tu risques de ne pas être au rendez-vous le jour J, à l’instant T. Le travail, ce ne sont pas uniquement des entraînements quotidiens, c’est aussi penser à son alimentation, son sommeil et plein d’autres paramètres, dont le mental. Derrière cette idée de mental, on parle souvent, à tort, de préparation mentale parce qu’en France, on a tendance à faire de la réparation mentale quand plus rien ne va. Alors qu’en fait, on devrait parler d’entraînement mental dans cette optique de régularité dans le travail.

 

Tu as écrit un livre, qui s’intitule Autohypnose et performance sportive : Manuel pratique d’entraînement mental pour le sportif. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Mon livre cherche à faire une synthèse des clés, conseils et techniques pour être son propre coach mental. Mon but est de rendre les gens autonomes. Par exemple, quelqu’un qui aurait des problèmes de concentration en grimpe peut lire le chapitre sur la concentration en toute autonomie, apprendre et faire par lui-même. Je suis plus pédagogue que réellement coach, c’est-à-dire que la personne me dit comment elle fonctionne mentalement et je lui propose de tester d’autres choses. Le premier coach mental d’une personne, c’est elle-même. C’est un peu paradoxal puisque je considère que si j’arrive à rendre les gens autonomes, c’est que j’ai bien fait mon travail et qu’ils n’ont pas besoin de moi (rires). Ce livre répond à un manque qu’il y avait dans la littérature car jusque-là, il n’y avait pas encore de bouquin qui combinait hypnose et sport.

 

Le coach mental aspire à changer le mindset. En escalade, on parle beaucoup de la peur, qui peut être très bloquante pour un grimpeur. Toi, tu travailles beaucoup sur cette émotion avec les personnes que tu coaches ?

J’adore la peur. Comme je le dis souvent en conférence, je suis le pire cauchemar de la peur. Par rapport aux expériences que l’on a vécues, la peur est apprise et on passe à autre chose. Sauf que notre cerveau enregistre parfois des expériences passées comme un magnétoscope. Il se rappelle que grimper sur un tabouret à 4 ans, il y a de la hauteur, et que grimper sur un bloc à 30 ans, il y a aussi de la hauteur. Le parallèle crée un ancrage. La peur peut donner des ailes comme elle peut brimer. Beaucoup de personnes ont peur en grimpant ou serrent trop les prises puis tombent paradoxalement, et certains ont tellement peur de tomber qu’ils chutent. D’autres ont peur du regard des autres. Que ce soit dans un cadre de loisir ou de compétition, si certains étaient totalement libérés de sa peur, ils grimperaient différemment. Et le but, c’est d’arriver à cela.

 

On parle souvent de la peur de la cotation, autrement dit la difficulté de passer à la couleur supérieure en bloc ou passer à une cotation plus élevée en falaise. Tu es familier avec cette peur en tant que coach mental ?

Oui, la peur de la cotation est très forte. A l’époque où je travaillais à Grenoble, j’en ai fait l’expérience avec des grimpeurs de haut niveau. Je prenais des cotations et puis au pied des voies, je faisais exprès de ne pas mettre la bonne cotation. Par exemple, je prends un 8a et en fait, j’indique que c’est un 7c. Et donc des grimpeurs de 7c qui d’habitude n’arrivent pas à grimper un 8a, valident la cotation et quand ils redescendent, qu’on leur dit qu’ils viennent d’escalader un 8a et qu’on leur demande de réitérer la performance, ils sont bloqués par la cotation et leur appréhension qui les influence, non pas leur physique. C’est un blocage psychologique.

 

Pour lutter contre cette peur, tu as créé en 2012 les stages Mental Camp. Pourquoi avoir créé ces stages, en quoi consistent-ils et comment ils se sont développés depuis ?

Le principe, c’est d’entraîner le mental en action. Lors d’un stage d’une demi-journée qui ressemble à une Master Class, on vient dans une discipline, par exemple les Mental Camp « Escalade bloc ». Pendant une demi-journée, on va utiliser le prétexte de grimper pour entraîner son mental. On va donner des outils pour se concentrer, lire plus rapidement leurs blocs, accélérer leur récupération entre deux blocs ou déclencher son mindset entre deux blocs. Pour que ça ne reste pas au niveau théorique, on leur dit d’aller grimper pour tester ces nouveaux outils. Donc les élèves alternent phase d’entraînement mental et phase de mise en application de la technique dans l’action. Toute la journée, on entraîne le corps et la tête en même temps. On a fait des Mental Camp dans plein de disciplines différentes : escalade, natation, sports de combat, trail, préparation au marathon… L’idée est de mettre les grimpeurs dans un environnement où corps et mental sont liés pour qu’ils aient le meilleur ressenti au moment de grimper. A la fin du stage, chacun repart avec des techniques ultra simples mais ultra efficaces. La gestion du stress quand on grimpe peut s’appliquer dans tous les domaines de la vie quotidienne.

 

Tu as coaché notre grimpeur Alban Levier avant la fin de sa carrière de grimpeur de très haut niveau. Peux-tu nous dire quelles sont les thématiques générales qui sont abordées dans un coaching mental adapté au grimpeur ?

Je travaille dans l’escalade avec certains membres de l’équipe de France jeunes et seniors depuis 2012, de façon ponctuelle ou parfois sur des saisons entières. On avait organisé des Mental Camp et avec Alban, on a aussi travaillé en coaching individuel. Les thématiques que l’on travaille en compétition sont variées. Par exemple, un grimpeur qui ne réussit pas correctement le bloc 1 alors qu’il se dit qu’il est fait pour lui va entamer le bloc 2 tout en étant encore en train de s’en vouloir de son échec du bloc 1. Donc, il n’arrive pas à faire un reset mental entre deux blocs, il ne parvient pas à faire abstraction du passé proche et il reste bloqué dans le passé alors que son corps est déjà en action sur un autre bloc, ce qui crée une sorte de dissociation. Ou alors faire abstraction du classement, des autres compétiteurs, des sons qu’on peut entendre dans l’isolement (applaudissements du public par exemple) qui peuvent altérer sa concentration. C’est aussi gérer la pression que l’on se met soi-même et se libérer pour exprimer tout son potentiel.

 

Est-ce que tu aurais des conseils à donner à ceux qui débutent en escalade ?

Au niveau mental, mon premier conseil est de suivre le chemin du plaisir. C’est hyper ludique, on s’y met vite et beaucoup de débutants se prennent au jeu, mais dès qu’ils réussissent le premier bleu, ils vont avoir tendance à se mettre en obligation de faire un deuxième bleu. Un des pièges en escalade, c’est le passage du « j’ai envie » à « il faut ». Le mental n’est pas très bon pour gérer cela. C’est pourquoi il faut garder la fibre du plaisir.

La deuxième chose à savoir, c’est qu’il n’y a pas plus grand hypnotiseur que notre mental, c’est-à-dire qu’il nous hypnotise avec les scénarios que l’on se fait. L’escalade est l’un des seuls sports où on a ce terme de lecture. Lorsqu’on lit un bloc, on se projette dedans, mais on n’est pas toujours maître de ce qu’on imagine dans notre tête. Le débutant doit avoir conscience de comment il se représente la façon dont il aborde un bloc, s’il imagine le réussir ou tomber, puis il doit choisir la manière dont il s’y projette pour avoir plus de chance de le toper.

Mon troisième conseil, c’est de profiter des moments de grimpe pour calmer les pensées. L’avantage du bloc, c’est qu’on a un moment où on peut penser avant de grimper, mais à partir du moment où on grimpe, il ne peut plus y avoir de pensées ou beaucoup moins : si on se met à penser à ce que les autres pensent, ce qu’ils vont dire ou à ce qu’on veut faire après, on se détache de sa grimpe et cela nuit à notre performance. Il faut profiter de ce moment-là de méditation en action, se mettre dans sa bulle. Si on contrôle la pensée, on peut se concentrer sur le présent et c’est là que les belles performances sportives se réalisent, tant pour les amateurs que pour les pros.

 

Merci Jonathan pour ton temps !

Avec plaisir !

 

Stay calm and go climb